Pourquoi est-il souvent si difficile de prendre la parole quand on est une femme ? Revenir au mythe de Cassandre nous donne des pistes d’explication.
📻 Chronique issue de l'émission On se lève et on se casse de novembre 2023 sur Radio Campus : le "gaslighting", quand les femmes sont réduites au silence, avec Hélène Frappat.
Cassandre, c’est l’histoire d’une femme qui dit la vérité mais qui n’est pas crue. Elle a reçu d’Apollon le don de voir l’avenir, qui s’est accompagné, en contrepartie, de la malédiction de ne jamais être crue. Elle a beau essayer d’avertir sa famille et sa cité des catastrophes qui les attendent - en particulier, elle dit bien qu’il ne faut pas accepter le cheval de Troie, que c’est un piège - personne ne tient compte de ses avertissements.
Cassandre était selon Homère la plus belle des filles du roi de Troie, et le dieu Apollon souhaitait la séduire : il lui a donc offert un don de prédiction, mais comme elle a refusé ses avances, il a décidé de la punir.
Cassandre n’avait pas demandé à ce qu’Apollon s’intéresse à elle. C’est une victime, mais autour d’elle on lui reproche de porter malheur quand elle prédit des catastrophes. On lui dit qu’elle est folle, on lui dit qu’elle ment.
Depuis le début du mouvement me too, de plus en plus de voix de femmes s’élèvent pour dénoncer les violences dont elles ont pu être victimes. Pourtant, leur parole est souvent remise en cause ; on questionne les faits, mais aussi leur capacité et leur droit de parler, en particulier lorsqu’elles mettent en cause des hommes puissants.
Aujourd’hui encore nous sommes les héritières et les héritiers d’une tradition où l’on a dit à des générations de femmes qu’elles étaient manipulatrices, hystériques, menteuses, qu’elles ne savaient pas ce qu’elles disaient et qu’elles recherchaient juste à attirer l’attention sur elle.
Le mythe de Cassandre est donc un avertissement pour les femmes : on ne vous empêche pas de parler, mais si vous le faites on dira que vous êtes folles. D’ailleurs, il finit mal : Cassandre est violée pendant la prise de Troie, puis assassinée. Cassandre savait ce qui l’attendait, et on veut bien croire que connaître à l’avance toutes les violences dont on va être victime sans pouvoir rien faire pour les empêcher puisse faire perdre la raison.
Mais ce mythe témoigne aussi du courage de Cassandre. Il y a ce vers très touchant d’Eschyle où Cassandre se livre au chœur et dit « jusqu’à présent, j’avais honte de parler de ces choses » (Eschyle, Agamemnon). Et pourtant, malgré tous les obstacles, elle continue inlassablement à dire la vérité - alors même qu’elle sait que personne ne la croira, même pas ceux qui lui sont le plus chers.
Enfin, dans l’Enéide de Virgile - auteur latin, qui vient donc bien après Homère - les Troyens finissent par reconnaître que les fous, c’étaient eux, eux qui n’avaient pas écouté Cassandre, et que c’est ce qui avait mené à la chute de leur cité. Cette reconnaissance vient un peu tard pour Cassandre ; mais si nous pouvions prendre conscience de notre propension collective à mettre en doute la parole des femmes à chaque fois qu’elles s’expriment, pour s’intéresser à ce qu’elles disent sans les juger sur le fait qu’elles parlent, nous pourrions peut-être, enfin lever la malédiction de Cassandre.
Dynamythe, c’est une fois par mois, une relecture féministe de nos mythes 💪🏻 pour redonner voix aux chapitre à celles qui sont jusque-là restées dans l’ombre. Cette chronique vous a intéressée ? Transmettez-là à quelqu’un qui cherche sa voix !
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