A la recherche des princesses de Bactriane, héroïnes depuis quatre mille ans

Jusque-là, dans mes chroniques, j’ai surtout parlé de mythologie grecque. Mais cette fois-ci je vous invite à décentrer votre regard pour vous parler de la mythologie d’une civilisation qui s’est épanouie sur le territoire de l’Afghanistan, bien avant que ce ne soit l’Afghanistan. Tout part de mystérieuses statuettes, les princesses de Bactriane...

Dynamythe 💥
3 min ⋅ 27/03/2024

📻 Chronique issue de l'émission On se lève et on se casse de mars 2024 sur Radio Campus : On n’oublie pas les femmes afghanes.

Ces statuettes émergent à la fin des années 1960 et dans les années 70.

On les surnomme Princesses, parce qu’elles sont vêtues de robes très décorées qu’on a comparées à des crinolines. Quant à la Bactriane, c’est la région où on les a trouvées. C’est une région située en Asie centrale à cheval entre les états actuels d'Afghanistan, du Tadjikistan, et de l'Ouzbékistan.

Mais à vrai dire, on sait très peu de choses sur elles.  Ce qu’on peut dire tout de même, c’est que l’apparition de ces statues a fait partie de la découverte d'une civilisation très ancienne, la civilisation de l'Oxus. C’est une civilisation qui s’est développée pendant l’âge du Bronze il y a 4000 ans. On n’en sait pas grand chose, car elle n’avait pas l’écriture et que la plupart des sites ont été pillés notamment en Afghanistan. mais on a quand même quelques hypothèses : on pense qu’il s’agirait d’une civilisation urbaine (avec des sites fortifiés), et hiérarchisée (avec une élite dirigeante). 

Mais alors, qui sont ces princesses de Bactriane ? 

Ces princesses restent très énigmatiques, mais comme elles ont été découvertes dans des tombes, les archéologues ont avancé plusieurs hypothèses :

  • Elles pourraient représenter des aristocrates, qui se seraient faites enterrer avec des portraits d’elles-mêmes dans leurs tombes ;

  • Elles incarneraient une reine-mère, vestige d’un matriarcat primitif. Ces statues viendraient protéger les élites enterrées ;

  • Elles représenteraient une déesse, peut-être même la grande déesse de la civilisation de l’oxus.

Car même si on a peu de sources sur la mythologie de cette civilisation, on estime qu’au sommet du panthéon on trouve une déesse… 

Une déesse au sommet de la hiérarchie des dieux ? Bienvenue dans la civilisation de l’Oxus…

Cette déesse est souvent représentée en train de chevaucher un dragon serpent ou d’étrangler les animaux. C’est la maîtresse de la faune, elle affiche son pouvoir sur les forces de la terre et des eaux du monde souterrain. C’est une déesse pacificatrice, qui régule l’ordre naturel. 

La prééminence de cette déesse, conjuguée au fait que les tombes féminines sont plus riches que celles des hommes, ont incité certains chercheurs a penser que la civilisation de l’Oxus aurait réservé une place particulière aux femmes.

Une civilisation qui a 4000 ans mais qui semblait donc très avancée… 

Bien sûr, cette civilisation demeure mystérieuse. Mais elle invite à se questionner sur le récit que l’on fait de notre histoire.

Aujourd’hui, on raconte sur les origines des sociétés humaines une histoire très simple : d’abord, les humains étaient des chasseurs-cueilleurs libres et égalitaires. Puis l’agriculture est apparue, et dans son sillage la propriété privée, les villes, la civilisation, mais aussi les inégalités, des structures hiérarchiques comme la monarchie et la guerre pout les défendre. Il n’y a qu’une seule trajectoire possible.  Si vous lisez Sapiens, le best seller de Yuval Noah Harari, vous pouvez en conclure que les inégalités et le patriarcat sont une étape logique et inéluctable de l’histoire de l’humanité, à partir du moment où l’on sort de l’état de chasseurs-cueilleurs. 

Or c’est aller un peu vite, puisque nous n’avons pas de traces identiques partout. C’est ce que montre la civilisation de l’Oxus. Des civilisations urbaines et hiérarchisées ont peut-être accordé la prééminence aux femmes. 

De bonnes nouvelles pour les féministes peuvent donc venir de l’Asie centrale, de ce territoire qui est celui de l’actuel Afghanistan…

La découverte récente de la civilisation de l’Oxus montre que l’histoire simpliste qu’on se raconte sur nos origines est un mythe. Le problème, c’est que ce mythe a des conséquences désastreuses et bien réelles pour nos sociétés, puisqu’il justifie les inégalités et légitime l’absence d’action pour les corriger.

Aujourd’hui, on redécouvre notre passé lointain, et on se rend compte de sa diversité. Comme le rappelle le titre d’un ouvrage de la préhistorienne Marylène Patou-Mathis, l’homme préhistorique est aussi une femme. Aucun vestige archéologique ne prouve que certaines activités, comme la chasse ou l’art rupestre, leur étaient interdites. Ce sont nos préjugés qui ont genré les activités des humains de la préhistoire.

Car le problème, c’est que nous avons tendance à projeter notre civilisation et ses valeurs sur les époques antérieures. Aujourd’hui, nous avons besoin d’autres récits pour construire notre futur : et ces princesse de Bactriane pourraient en être les héroïnes. 

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Par Chloé de Dynamythe

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