Quel est le lien entre Oedipe et l'avortement ? Quels sont les récits que nous faisons de faits de société comme l’avortement, et que disent-ils de nous? Revenir aux mythes grecs nous aide à nous poser ces questions.
📻 Chronique issue de l'émission On se lève et on se casse d'octobre 2023 sur Radio Campus, sur le thème "on en est où sur l'IVG".
La Grèce antique peut paraître très loin du thème de l’émission d’aujourd’hui : l’avortement.
Pourtant, dans l’Antiquité aussi, bien sûr, les hommes et les femmes ont cherché à exercer un contrôle sur leur reproduction. Avec des méthodes comme le coït interrompu mais aussi des moyens qui nous paraissent aujourd’hui plus farfelus - à l’exemple de ce médecin qui recommandait aux femmes de retenir leur respiration pendant les rapports sexuels et d’éternuer ensuite pour expulser le sperme ; c’est encore mieux si on y ajoute de sauter sept fois en arrière après les rapports !
Mais il existe une méthode de contrôle des naissances largement utilisée à laquelle il est fait allusion dans de nombreux mythes.
D’après vous, quel est le point commun entre Œdipe, qui a tué son père et épousé sa mère sans le savoir, Paris, le prince qui a enlevé Hélène et déclenché la guerre de Troie, et Atalante, une femme élevée par la déesse chasseresse Artémis, qui a fait partie de l’expédition des Argonautes partis chercher la toison d’or?
Les 3 ont été abandonnés à la naissance.
Dans les mythes en effet, on trouve un certain nombre d’enfants abandonnés dans la nature par leurs parents et livrés à une mort certaine, et qui ont ensuite un destin hors du commun. Ces mythes évoquent un fait historique précis, l’exposition des enfants c’est-à-dire l’abandon des nouveaux-nés.
En Grèce antique, quand un enfant naît, c’est au père qu’il revient de décider ou non de l’intégrer dans la communauté. Ainsi, à Athènes, entre 7 et 10 jours après la naissance se tient une cérémonie au cours de laquelle le père court autour de l’autel familial pour l’intégrer à la famille et le mettre sous la protection de Hestia, la déesse du foyer. C’est à ce moment là que le père reconnaît l’enfant, qui acquière donc une existence dans la famille et dans la cité.
A Sparte, c’est le conseil des Anciens qui examine les nouveaux-nés et a droit de vie ou de mort si l’enfant n’a pas l’air assez fort ou en assez bonne santé.
Donc les mythes de ces héros qui ont été abandonnés à leur naissance et ont vécu des vies extraordinaires renvoient à la réalité bien plus crue d’abandon des enfants à la naissance sur décision de leur père.
Par ailleurs, si l’on revient aux trois personnages mythes que j’ai évoqués, ceux d’Œdipe, de Paris et d’Atalante, ils partagent un autre point commun : les trois sont des enfants de rois. Par contre, ils n’ont pas été abandonnés pour les mêmes raisons.
Pourquoi ont-ils été abandonnés?
Œdipe : un oracle a prédit à ses parents que s'ils avaient un fils, il tuerait son père et épouserait sa mère.
Paris : sa mère a une vision quand elle est enceinte de lui : son fils allait être responsable de rien moins que la destruction du royaume.
Donc les abandonner était un mal nécessaire pour éviter un désastre futur…
Par contre, Atalante a été abandonnée… parce que son père, le roi du Péloponnèse, ne voulait pas de fille. Et c’était une raison suffisante pour justifier sa décision !
Effectivement, les enfants exposés dans la Grèce antique étaient très majoritairement… des filles. Pour des raisons économiques - il faut doter ses filles - mais aussi sexistes ; dans une pièce de théâtre de Poseidippos, auteur populaire de l’époque, on trouve ainsi cette réplique : « Un fils, on l’élève toujours, même si l’on est pauvre, une fille, on l’expose, même si l’on est riche. »
Survivre, en tant que femme, n’était-ce pas déjà un acte d’héroïsme ?
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