Méduse, monstre ou victime ?

L'évolution des lectures du mythe de Méduse, de monstre à abattre par le héros Persée à la récupération féministe des années 70, incarne l'incapacité de la société à penser la place des victimes de violences sexuelles - et surtout à les regarder en face.

Dynamythe 💥
3 min ⋅ 17/09/2024

📻 Chronique issue de l'émission On se lève et on se casse de mars 2024 sur Radio Campus : Que coûtent vraiment les violences sexuelles ?

Quel est le prix des larmes ?

Comme le dit Virginie Cresci dans son ouvrage Le Prix des larmes, le coût caché des violences sexuelles, « Non seulement avoir été violé·e ne rapporte rien, mais coûte très cher. » Car les victimes de violence sexuelle le sont deux fois : lors de l’agression, mais aussi après. Comme elle le souligne,

On ne peut pas aller mieux dans une société qui ne vous entend pas.

Et au passage, la société non plus. 

Deux fois victime, c’est, dans la mythologie, le cas de Méduse.

Méduse, c'est l’un des personnages les plus représentés dans l’art et l’un des plus anciens mythes toujours vivace : il nous fascine depuis 2 800 ans. 

Laissons Ovide nous raconter ce mythe :

Méduse, c’est l’une des trois sœurs Gorgone, la seule des trois qui soit mortelle. C’est une très belle jeune fille, qui a la malchance d’être violée par Poséidon dans un temple dédié à la déesse Athena… qui la punit en la transformant en monstre hideuse qui, à son tour, transforme en pierre tous ceux qui croisent son regard.

Mais c’est surtout par le mythe de Persée que Méduse est connue. Persée, c'est un héros qui part en quête justement pour ramener la tête de Méduse. Aidé par Athena, il utilise un bouclier en bronze réfléchissant Méduse pour ne pas rencontrer directement son regard. Cela lui permet de la décapiter et de se servir de sa tête tranchée pour pétrifier ses ennemis. 

Et c'est avec ce récit, qui est centré sur un héros masculin, que Méduse est devenue synonyme de monstruosité. Car dans le mythe de Persée, Méduse n’est pas une victime - deux fois victime, violée puis punie - mais un monstre à éliminer. 

Alors, Méduse, monstre ou victime ?

Cette ambivalence entre le monstre et la figure féminine est bien présente dès l’Antiquité. La bonne fortune de ce mythe s’explique en grande partie par la fascination masculine envers une sexualité féminine forcément dangereuse, même lorsqu'elle est subie. Il n’y a qu’à taper les mots clés « Méduse mythologie » sur Internet : les images qui apparaissent ne montrent pas un monstre repoussant mais un archétype de la femme fatale, sexy, fascinante et dangereuse. 

Mais dans les années 70, les féministes se réapproprient le mythe. Hélène Cixous inverse la tendance avec un essai célèbre, Le Rire de Méduse. Elle transforme le personnage en une icône féministe : elle fait de Méduse une représentante de la difficulté des femmes à accéder à une parole publique, à se faire entendre.

L'écriture est pour vous, vous êtes pour vous, votre corps est à vous, prenez-le.

Et c’est aussi le projet de l’ouvrage de Virginie Cresci : faire en sorte que la vérité éclate. Que les victimes se reconnaissent entre elles d’une part, et qu'elles soient reconnues publiquement, d'autre part. Qu’on les regarde enfin en face, collectivement. Parce que comme le dit Hélène Cixous,

Il suffit qu’on regarde la méduse en face pour la voir : et elle n’est pas mortelle. Elle est belle et elle rit.

Alors pourquoi faudrait-il que les puissants se protègent du regard des victimes, de leur colère, de leur demande de justice ?

Car enfin, qui sont les monstres ?

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Par Chloé de Dynamythe

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